Le 12 septembre dernier a eu lieu la première édition du Séminaire Innovation forêt-bois, organisé dans le cadre des Journées du Bois Suisse. Cet évènement a réuni à Rueyres, au sein de la scierie Zahnd, des expert·e·s autour de thèmes d’avenir tels que le soutien du Canton à l’innovation, la sécurité sismique, le réemploi ou encore la valorisation du bois communal. Nous vous proposons ici un résumé des interventions, avec l’accord de leurs auteur·e·s.

Sylviane Gosteli, responsable de l’économie forestière et de la Promotion du bois et du développement de la filière forêt-bois à la Direction générale de l’environnement (DGE) de l’État de Vaud a présenté entre autres l’implication du canton dans le soutien à l’innovation dans la filière. Elle a partagé son expérience en matière de promotion du bois local, en présentant des exemples concrets de projets valorisant les ressources forestières de la région.

Nouvelles orientations politiques et de nouvelles synergies avec la fusion des politiques forêt et promotion. Ainsi, plusieurs motions (Pahud et Ferrari) , l’évolution de la Loi forestière (PolFor 2040) et le plan climat (favoriser l’utilisation du bois en cascade) ont permis de poser les jalons d’une politique de soutien de la filière.
Mise en place d’une collaboration avec la DGIP de cahiers des charges exemplaires demandant l’utilisation du bois local et du propre bois dans les constructions cantonales.
Soutien financier direct aux MO qui mettent en œuvre du bois vaudois. Depuis 2023, 1.5 Mio CHF distribué aux institutionnels et privés pour la réalisation de 77 projets (25 terminés et construits).
Financement et soutien aux entreprises de 1ère transformation et à la conservation du savoir-faire avec la promotion de la filière bois.
Soutien direct aux projets innovants ou pilotes avec un plafond de 50’000 Chf / projet pour la couverture de 50% des frais engagés
Son engagement pour une filière forêt-bois durable et son expertise dans la mise en œuvre de politiques publiques en font une intervenante incontournable pour notre séminaire sur l’innovation dans le secteur forêt-bois.

 

Luca Jeannerat, (ingénieur bois HES avec spécialisation en génie parasismique, associé au sein du bureau 102,2 mètres) et Alexine Subrin (ingénieure civile EPFL et cheffe de secteur bureau technique chez JPF Ducret SA, une entreprise spécialisée dans les constructions bois) ont présenté l’évolution des connaissances et techniques parasismiques dans la construction bois à travers leur expérience croisée de conception/modélisation et de mise en pratique avec des solutions d’entreprise sur le projet de Centre de distribution social et centre de jour Colis du cœur à Plan-les-ouates, en zone sismique Z1B et de grandes charges de stockage, véritable défi pour la conception parasismique.

 

Evolution du projet (pas de noyau béton mais structure en treillis en façade, assemblages de la structure bois par tiges scellées Ferwood© ).

Cette solution permet de dissiper l’énergie en cas de séisme. C’est la grande force des systèmes bois en parasismique.

 

 

 

Luca Cornuz réalise un master à la Haute école spécialisée Bernoise, en Innovation Circulaire et développement durable. Il a présenté l’avancée de son travail de Master sur l’implémentation de l’utilisation en cascade du bois en Suisse, en particulier la réutilisation du bois de construction.

On parle souvent des trois S du bois : Séquestration du carbone en forêt, Stockage dans les produits en bois pour la durée de vie, et Substitution aux matériaux plus émissifs. Le réemploi prolonge le stockage et augmente la substitution. L’utilisation en cascade est déterminante pour conserver le plus longtemps possible les bénéfices de stockage du carbone dans la matière avant son utilisation à des fins énergétiques.


Le jargon technique permet de distinguer le recyclage, qui permet de fabriquer un nouveau produit à partir de l’ancien du réemploi qui vise à réutiliser un élément pour le même usage.

Plusieurs projets pilotes voient aussi le jour avec l’opportunité à l’échelle d’un projet d’employer des éléments démontés en réemploi (stockage d’éléments dans l’idée de réemploi dans d’autres projets). Ces démarches posent plusieurs questions en termes de coûts, de logistique et de garantie. Le coût de déconstruction est aujourd’hui souvent mal estimé. Ce n’est pas la même action de démolir que de déconstruire ou démonter. Le coût doit donc être estimer en tenant compte de cette spécificité, de même que tous les coûts relatif au stockage, au transport des éléments démontés. En termes de garantie, c’est l’entreprise qui doit fournir les éléments de vérification sur les éléments réemployés. Même si les exemples réalisés permettent de déterminer facilement que du bois « ancien » a les mêmes caractéristiques que du bois neuf, d’autres critères doivent être analysés. A ce titre le Lignatec 36/2023 dédié sur le réemploi du bois détaille ces points (lien).

Il existe des méthodes de réalisation d’inventaires avant une démolition / démontage, des plateformes comme materiuum ou salza de mise à disposition d’éléments démontés, mais aucune plateforme globale aujourd’hui en Suisse pour le réemploi du bois. Il faut donc faire et évaluer projet par projet les meilleures solutions pour estimer les coûts, la logistique, etc.

 

 

 

Jonathan Krebs (ingénieur civil et sous-directeur chez INGPHI) et Adrian Meredith (architecte EPFL et chef de projet au service d’architecture de la ville de Nyon) ont proposé un retour d’expérience sur l’utilisation du bois local et du propre bois dans un projet d’envergure, le complexe multisport de Colovray.

Conçu pour être polyvalent, accessible et intergénérationnel, le complexe multisports répondra aux besoins des clubs sportifs locaux, des associations et du public, sans nécessiter un partage avec les établissements scolaires. L’agrandissement du site sportif de Colovray prévoit une halle de sport triple, un espace dédié aux arts martiaux, une salle polyvalente, des vestiaires, une cafétéria, un espace VIP, une salle de conférence et des bureaux.
La démarche propre bois et bois local a été prise dès le début de la phase projet d’ouvrage, il s’agit d’un véritable projet dans le projet. Cette démarche revêt de multiples enjeux, à la fois techniques (définition des volumes de grumes, adéquation avec les volumes disponibles), temporels (réservation des lots de bois auprès des services forestiers), légaux (procédures de marché public pour l’approvisionnement des volumes manquants, du sciage), et financiers avec la maîtrise du budget malgré la redéfinition des lots de bois. Plusieurs partenaires locaux ont été sollicités en amont pour mener à bien le projet, le service de l’environnement de Nyon (garde forestier), la Forestière (exploitant de la forêt nyonnaise), le Cedotec (conseils à maîtrise d’ouvrage).
Le choix de travailler en plusieurs lots a été fait pour les volumes hors propre bois avec des marchés en gré à gré. Un appel d’offre spécifique pour le travail de sciage et finalement l’appel d’offres en procédure internationale ouverte pour le lot charpente (inclus collage des bois). La réussite de ce projet permet d’ancrer ce dernier dans un circuit court avec moins de 150 km entre les zones d’abattage, de sciage et collage.
Cette démarche s’écarte des plannings de projet habituels avec la nécessité par exemple de déterminer avant la phase SIA 41 les métrés précis, soit dès les phases 31 ou 32. Le délai de coupe et de préparation des bois est aussi à anticiper, dans le cas présent plus d’un an et deux périodes d‘abattage ont été nécessaires. La traçabilité est à mettre en place tout au long du processus de travail de l’arbre au produit bois mis en œuvre.
En définitive, la démarche est peu complexe une fois mise en relation avec les plus-values sur le projet !
Intérêt principaux : Valorisation de forêts locale, dont le rajeunissement est un enjeu | Favorisation de filières courtes en respectant les marchés publics | Cohérence avec les engagements climatiques pris par différents MO publics dont la Ville de Nyon.

 

 

Conclusion

L’innovation est la recherche constante d’amélioration de l’existant. Elle se distingue de l’invention, qui vise à créer du nouveau. Dans le domaine de l’ingénierie, l’innovation est le cœur de métier. Elle est la capacité qui permet de trouver des solutions à des problèmes complexes d’ordre technique, financier, organisationnel, méthodique voire social, problèmes qui par leur complexité ne peuvent pas s’obtenir en appliquant des formules préétablies. Il s’agit de trouver des solutions, de mettre en œuvre de nouvelles idées, d’un point de vue pratique. On l’a vu avec 102.2 et JPF Ducret sur la problématique de la construction en zone sismique, il existe encore et toujours des domaines techniques qui nécessitent des améliorations et de l’innovation dans la construction bois. L’utilisation du bois local et surtout du propre bois dans un contexte de marché public requiert là aussi de faire preuve d’innovation, pour mettre en place de nouveau processus organisationnel, les éprouver à l’échelle d’un projet de construction.

Merci aux intervenants d’avoir pris le temps de nous transmettre ces expériences, ces exemples qui permettront à d’autres, architectes, MO, ingénieurs, entreprise de faire un pas dans cette direction.

Plus largement, l’innovation consiste aussi à faire preuve de créativité afin de dépasser les limites établies. En ce sens, la question du réemploi des matériaux de construction est un vrai défi d’avenir, et nous avons pu voir à travers l’analyse présentée par M. Cornuz que ce thème présente encore de belles pistes d’innovation pour la filière forêt bois.

Dans un monde qui va vite, qui demande à aller vite, il n’est pas toujours aisé de prendre le temps d’innover. Le soutien est donc primordial, donner du temps, les moyens d’innover à ceux et celles qui détiennent l’expertise de l’existant. En ce sens la force de soutien de certains cantons, comme on l’a vu avec l’intervention de Mme Gosteli de la DGE et la présentation de plusieurs projets soutenus, que ce rôle est primordial pour la filière.

L’innovation est donc un enjeu à toutes les échelles, en entreprise, à l’échelle d’un projet, mais aussi doit permettre de donner un élan, il est donc important de profiter des retours d’expérience comme dans le cadre de ce séminaire.

Merci aux JBS 25 et tous les partenaires pour avoir permis la diffusion des exemples d’innovation.